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Enhanced Games : un test pour le modèle mondial de lutte antidopage


Depuis plus de vingt ans, la lutte antidopage s’articule autour d’un cadre unique et précis : le Code mondial antidopage, élaboré et imposé par l’Agence mondiale antidopage (l'AMA).

Ce système, largement intégré aux règlements des fédérations internationales et aux législations nationales, a pour objectif de garantir l’intégrité des compétitions, l’égalité entre athlètes et la protection de la santé.

Selon ses propres mots, l’AMA a pour rôle principal d’élaborer, d’harmoniser et de coordonner les règles et les politiques antidopage dans tous les sports et tous les pays. Ses principales activités comprennent la recherche scientifique et en sciences sociales ; l’éducation ; le renseignement et les enquêtes ; le développement des capacités antidopage ; et la supervision de la conformité au Programme mondial antidopage.

Mais en 2025, ce consensus est bousculé par l’apparition des Enhanced Games, une compétition alternative qui assume ouvertement l’usage de substances dites « améliorantes ».

En intentant une action judiciaire et en réclamant 800 millions de dollars à l’AMA et à plusieurs fédérations, les promoteurs de ces Jeux posent une question pour le moins cavalière : la gouvernance mondiale de l’antidopage repose-t-elle sur une légitimité sportive ou sur un monopole contestable au regard du droit de la concurrence et des libertés individuelles ?

C’est à la lumière de cette controverse que se dessine aujourd’hui une confrontation inédite entre autonomie du sport, droit de la santé publique et principes économiques de concurrence, ouvrant un débat dont l’issue pourrait profondément transformer l’équilibre du sport mondial.

 

1)      Un projet en rupture avec le modèle et l’esprit olympique

Les  Enhanced Games, prévus pour mai 2026 à LAS VEGAS, affichent une ambition radicale : organiser une compétition multisports où les athlètes seraient autorisés à recourir à des substances « améliorantes ». Conçus comme une alternative assumée au modèle olympique, ils sont portés par Aron D’Souza, investisseur en capital risque et soutenus par certains investisseurs et sportifs en quête de visibilité et de rentabilité, on peut citer à titre d’exemple Donald TRUMP Junior ou encore Peter THIEL, cofondateur de PAYPAL.

En septembre 2025, leurs promoteurs ont déposé un recours antitrust aux Etats Unis, ils évaluent leur préjudice à un montant total de 800 millions de dollars, contre la Fédération internationale de natation (World Aquatics), USA Swimming et surtout l’Agence mondiale antidopage (l’AMA). Leur argument central est le suivant : ces organismes adopteraient des pratiques anticoncurrentielles en menaçant d’exclusion ou de sanction tout athlète qui participerait à cette nouvelle compétition.

Le sprinteur français,  Mouhamadou Fall, aujourd’hui sous le coup d’une suspension pour des soupçons de dopage, a confirmé sa présence au  Enhanced games, tout comme le nageur britannique Benjamin PROUD, ex-champion du monde du 50m nage libre ou encore Fred KERLEY double médaillé olympique du 100m.

Certes, ces athlètes sont entourés de soupçons de dopage ou ont quitté la scène internationale, mais leur participation à cette compétition controversée brise un tabou majeur du monde sportif.

2)      L’AMA et le Code mondial antidopage : un cadre normatif puissant

Créée en 1999, l’AMA est une fondation de droit Suisse dont la mission est de coordonner la lutte mondiale contre le dopage. Elle élabore le Code mondial antidopage, texte de référence adopté par la quasi-totalité des fédérations internationales et intégré aux législations nationales.

Le Code repose sur plusieurs principes :

·         interdiction stricte de certaines substances ou méthodes, listées annuellement par l’AMA,

·         régime de responsabilité objective : un athlète est responsable de toute substance interdite retrouvée dans son organisme, peu importe son intention,

·         système des « whereabouts » : obligation de localisation pour permettre des contrôles inopinés,

·         sanctions standardisées : suspension provisoire immédiate en cas de test positif, suspension de deux à quatre ans pour usage avéré, avec modulation selon la faute et l’intention.

Ce système a permis d’unifier la lutte antidopage et d’éviter le forum shopping entre États ou fédérations. Mais il est aussi critiqué pour sa rigueur excessive, ses atteintes disproportionnées à la vie privée des sportifs, les inégalités dans l’application selon les pays, et sa lourdeur procédurale.

3)      Les arguments des Enhanced Games

Les promoteurs des Enhanced Games dénoncent un monopole normatif qui, selon eux, prive les athlètes de leur liberté contractuelle et de leur droit à concourir dans un autre cadre. Ils affirment que l’AMA et les fédérations utilisent leur position dominante pour verrouiller le marché sportif mondial, que les sanctions (exclusion des Jeux olympiques, des championnats du monde, perte de sponsors) constituent une barrière anticoncurrentielle et que les athlètes devraient pouvoir choisir de concourir dans des compétitions où l’usage de substances améliorantes est accepté et encadré médicalement.

Ils invoquent donc le droit de la concurrence (antitrust aux États-Unis, articles 101 et 102 TFUE en Europe), en affirmant que les règlements antidopage ne sont pas seulement protecteurs de la santé publique mais aussi des outils d’exclusion économique.

4)      L’équilibre entre protection et proportionnalité

a) Légitimité du système antidopage

Les instances sportives pourront répondre que les règles de l’AMA reposent sur des objectifs légitimes : protéger la santé des athlètes, assurer l’équité des compétitions, préserver l’image du sport. Ces buts sont régulièrement validés par la jurisprudence du TAS et par les juridictions nationales, qui reconnaissent la spécificité du sport.

b) La question de la proportionnalité

Toutefois, le débat se concentre sur la proportionnalité. Les mesures imposées (interdictions absolues, contrôles intrusifs, suspensions provisoires) vont-elles au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis ? Les décisions récentes (notamment Halep, Welteji, Thibus) montre une sensibilité croissante sur l’équilibre entre rigueur réglementaire et droits fondamentaux.

c) Risque d’abus de position dominante

Si les juridictions saisies estiment que l’AMA et les fédérations utilisent leur pouvoir pour exclure de manière systématique toute initiative concurrente, cela pourrait être assimilé à un abus de position dominante mais il pourra leur être retorqué que la lutte antidopage constitue une mission d’intérêt général, qui justifie une uniformité mondiale.

En conclusion, les Enhanced Games représentent un défi inédit : non pas une contestation isolée d’une sanction par un sportif s’estimant lésé par le poids d’une procédure le dépassant, mais une véritable remise en cause du système antidopage dans son ensemble.

La bataille juridique annoncée aux États-Unis pourrait avoir des répercussions internationales importantes.

Deux scénarios peuvent se dessiner :

·         soit les juridictions confirment la légitimité du monopole de l’AMA, consolidant ainsi son rôle de gardien de l’intégrité sportive,

·         soit elles ouvrent la porte à une concurrence normative, avec le risque de fragmentation du sport mondial et de remise en cause de l’idée même de compétition équitable.

Une nouvelle fois, l’affaire des Enhanced Games illustre combien le droit du sport demeure un droit vivant, traversé par de véritables enjeux politiques, économiques et sociétaux.
Elle rappelle surtout la nécessité pour les États, les fédérations et les instances sportives de maintenir un équilibre délicat entre santé publique, liberté individuelle et logique économique.

Lexique :

L’AMA (Agence mondiale antidopage) / WADA (World Anti-Doping Agency) : organisme international indépendant créé en 1999, basé à Montréal, chargé de coordonner la lutte mondiale contre le dopage. Elle élabore le Code mondial antidopage, supervise les listes de substances interdites et harmonise leur application par les fédérations et les États.

Enhanced Games : projet de compétition sportive alternative, prévu pour 2026, où l’usage de substances améliorantes est autorisé. Conçu en opposition au modèle olympique et aux règles de l’AMA, il revendique la liberté scientifique et contractuelle des athlètes. Le mot Enhanced vient du verbe “to enhance”, qui signifie améliorer, accroître, renforcer

Loi antitrust (USA) : ensemble de règles fédérales américaines (notamment le Sherman Act de 1890 et le Clayton Act de 1914) visant à interdire les monopoles et les pratiques anticoncurrentielles. Dans le sport, elles peuvent être invoquées contre les fédérations si leurs règlements restreignent abusivement la liberté économique des joueurs, clubs ou organisateurs.

TAS (Tribunal arbitral du sport) / CAS (Court of Arbitration for Sport) : juridiction arbitrale internationale basée à Lausanne, compétente pour régler les litiges liés au sport (disciplinaires, dopage, transferts, contrats, etc.).


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